Après des études littéraires et en philosophie, et une année d’enseignement, Virginie Esteve s’est tournée vers le métier de Conseillère principale d’éducation. À son actif, 25 ans de carrière dans 13 établissements différents. De la banlieue parisienne à la Bretagne, du collège au lycée, son parcours s’est enrichi d’expériences auprès d’élèves de tous horizons, notamment auprès de publics difficiles. Et puis, il y a 10 ans, une rencontre. Celle avec une intervenante de la Ligue de l’enseignement des Côtes d’Armor. De là naît une solide collaboration entre le Lycée Jean Moulin et la Ligue de l’enseignement des Côtes d’Armor. Au-delà de valeurs et d’engagement partagés, une finalité commune : accompagner les élèves dans leur parcours de formation et l’apprentissage de la citoyenneté.
Ligue de l’Enseignement (LEN) : Bonjour Virginie. Pouvez-vous nous parler de l’établissement et de votre rôle ?
Virginie Esteve (V. E) : Le Lycée Jean Moulin est un établissement professionnel qui dispense des formations diplômantes allant de la 3è au BTS. Si la plupart de l’enseignement vise des qualifications dans des métiers du tertiaire tels que les services à la personne, la vente, l’accueil, le commerce ou la mode, l’établissement abrite aussi une section d’enseignement agricole. Nous comptons 660 élèves de 15 à plus de 25 ans, à 80 % féminin. Le service Vie scolaire se compose de 3 CPE et 10,5 postes d’assistants d’éducation. En tant que CPE, mon rôle est d’assurer l’accueil et le suivi individuel et collectif des élèves. Des actions de sensibilisation aux conduites à risques, en lien avec les infirmières, font également partie des missions du CPE ainsi que l’animation des instances représentatives : Conseil de la Vie Lycéenne, Maison des lycéens. Le lycée accueille enfin 160 élèves internes pour lesquels nous mettons en place de l’aide au devoir et organisons des sorties ou soirées à thèmes.
LEN : Cela fait plusieurs années que vous travaillez avec La ligue 22. Quelles sont les problématiques et enjeux qui motivent un tel partenariat ?
V. E : Nous sommes confrontés ces dernières années au phénomène de décrochage scolaire qui peut venir d’un parcours scolaire heurté, d’une orientation « par défaut », de situations personnelles compliquées… En parallèle, nous constatons une augmentation des incivilités, des tensions entre élèves. Au lycée Jean Moulin le travail de médiation occupe une place importante : il s’agit de créer, développer, ou restaurer le lien de confiance entre l’élève et l’adulte. Les compétences psychosociales font parfois défaut… C’est pour répondre à ces problématiques que nous avons développé un partenariat avec la Ligue 22.
LEN : Toute problématique apporte son lot de difficultés. Quelles sont les vôtres et celles de vos collègues ?
V. E : En terme d’organisation, il n’est pas toujours facile dans le travail quotidien de trouver des temps d’échanges pour caler les projets et soutenir la dynamique des actions engagées. Les agendas sont contraints, ceux des adultes comme ceux des élèves. Avec les périodes de formation en entreprise, il y a une certaine mouvance dans les effectifs.
D’un point de vue plus humain, certaines manières de s’exprimer, un non-respect des règles de vie collectives peuvent dégrader la relation éducative. Ce peut être aussi de l’incompréhension, un sentiment d’injustice, un manque de confiance, etc. Mettre des mots sur ses émotions, exprimer ses idées et argumenter pour défendre son point de vue sous le regard ou le jugement des autres n’est pas évident. Cultiver le dialogue entre professeurs, intervenants, élèves, CPE permet de développer le lien éducatif et facilite les conditions d’apprentissage pour les élèves et la gestion du groupe classe pour les enseignants.
LEN : Comment définissez-vous les projets ? Quelles en sont les étapes de mise en œuvre ?
V. E : À partir de rencontres, d’échanges téléphoniques ou bien par mail avec l’équipe de la Ligue 22. Avec le souci constant de construire des actions pertinentes en réponse aux besoins spécifiques identifiés. Les actions mises en œuvre sont impulsées et soutenues par le Proviseur. Certaines formations ont eu lieu à la demande des collègues enseignants (« sensibilisation au harcèlement » par exemple). Ensuite vient le travail de co-construction et de co-intervention. C’est essentiel pour assurer une relation privilégiée et favoriser l’implication de l’équipe éducative et des élèves. Globalement, l’engagement et la participation sont plutôt forts. Il faut également faire vivre ces interventions. Le travail d’explicitation de la démarche, en amont des ateliers, y contribue. Certaines de ces actions nécessitent un temps de formation préalable auprès des adultes. L’idée est de les accompagner dans l’appropriation des outils à leur disposition. Ils pourront les utiliser par la suite, en tout temps de la vie scolaire.
Côté financement, l’établissement mobilise ses fonds propres et bénéficie du soutien de la Région Bretagne à travers le dispositif Karta. Ce sont des actions qui, pour être efficaces et au plus près du contexte de l’établissement, doivent s’inscrire et être accompagnées dans la durée. À l’issue du programme annuel, l’évaluation systématique permet d’intégrer les remarques de chaque participant et intervenant, d’identifier les points de progrès et les ajustements à prévoir pour les interventions futures.
LEN : Un vrai travail d’équipe en somme ! Quelles actions avez-vous déjà mises en œuvre ?
V. E : Depuis de nombreuses années nous travaillons avec la Ligue 22 sur les thèmes de l’Egalité Homme/Femme et de lutte contre toutes les discriminations, l’Education aux médias, et plus récemment sur le phénomène de « harcèlement », comment le prévenir et agir.
Avec le Conseil de la Vie Lycéenne, nous avons aussi mis en place un projet de sensibilisation par les pairs et propice au débat : « libre expression » autour du cannabis.
Afin de développer la participation des élèves aux instances représentatives, nous avons co-construit avec la Ligue 22 une « Formation des délégués ». L’animation des ateliers s’est déroulée en co-intervention avec les CPE. Parmi les objectifs : apprendre à se connaître, comprendre le rôle du délégué au sein du conseil de classe, du conseil d’administration, conseil de discipline… Aider les élèves à mieux prévenir ou temporiser les rapports conflictuels en gérant ses émotions, en appréhendant le dialogue avec diplomatie avec tous les interlocuteurs de l’établissement. Cela rejoint un peu les interventions d’ « Internet citoyen », car nous savons qu’un mauvais usage des réseaux sociaux ou d’Internet peut vite nuire aux relations entre les élèves…
LEN : Merci pour cet échange. Avant de se quitter, de nouveaux projets en perspective ?
V. E : Prochainement, nous lançons le projet « Vivre ensemble et coopération » qui vise à renforcer la cohésion de groupe dans les classes entrantes. Mieux se connaître, se respecter en composant avec chacun et chacune et encourager ainsi une dynamique de classe positive. C’est une nouveauté !